Culture Clubs

Supplément — Collection Revue 5, (s’)inscrire dans un espace
par Côme Guérif
pour Biennale Exemplaires 2019

 

 

 

À propos de
Collection Revue N°5
de : Jean-Philippe Bretin, Vanessa Dziuba, Julien Kedryna, Sammy Stein, Antoine Stevenot

Éditeur
Collection revue

Année
2017

Format
21 × 29,7 cm

Nombre de pages
288

ISBN
978-2-9550001-1-3

Imprimeur
Musumeci S.p.A

Conception graphique 
Jean-Philippe Bretin et Antoine Stevenot

Si le titre de l’ouvrage sème d’abord le doute quant à son énonciation1, il semble pourtant qu’il s’avère bien pertinent, tant par son organisation que par sa polysémie. « Collection revue 5 », par son titre même, propose de placer l’action de réunir en amont de celle d’éditer. La revue, ou plutôt ses auteurs2, s’adonnent donc d’abord à la collecte, dans le but de « faire collection ». C’est l’idée assez belle, que de s’avouer à même de rentrer dans un objet ou une pratique à travers son image. C’est assumer cette attirance, qui échappe parfois à la raison, comme pour le/la collectionneur(se) de cartes Panini ou de timbres postaux. Pourtant s’intéresser au dessin contemporain, dans sa définition la plus large, ne relève pas d’une simple fascination de la part des auteurs. Car si cette pratique se définit comme une autre forme du réel, il semble pertinent de la considérer aujourd’hui, tant elle semble ancrée dans des pratiques artistiques contemporaines.

Si Collection revue 5 semble avant tout entretenir un rapport intime avec ces pratiques, elle tente de les cerner et d’établir un dialogue avec celles-ci, afin de mieux les donner à voir. Des discussions se mettent en place. Les interviews, retranscrites fidèlement — quand l’artiste interviewé n’intervient pas à postériori —, nous plongent dans une impression de proximité (Sur quoi travailles-tu en ce moment ?3 Est-ce que tu peux m’envoyer une photo de là où tu es ?4, Où travailles-tu […] ?5, etc.). Le décor se dresse. Nous sommes ce voisin curieux, assis à une table de café, que l’on invite, pour sa plus grande joie, à se délecter de quelques anecdotes inédites (un « verniskype » comme solution de secours6 ou une couverture de livre réalisée par un graphiste indien7).

Parallèlement à ces conte­­nus textuels, les images illus–trent, à la suite des interviews, le travail de l’artiste. Ces deux types d’éléments occupent une place équivalente et font corps. À la manière des livres de Clubs, textes et illustrations semblent indisso­­­ciables et font identité. Si Collection revue 5 s’affirme comme un espace d’échanges dans un premier temps, il n’oublie pas d’être cohérent dans le traitement des visuels. À la manière des maque­ttistes des livres de Clubs, les auteurs invités s’emparent de la revue. Chacun, à sa manière, se prête à l’exercice d’une intervention directe au sein de l’ouvrage (on pense ici aux artistes de la Galerie 126 qui légendent eux-mêmes leurs photographies, ou au studio Maximage qui se charge de l’impression de leur cahier d’images.). Collection revue 5 s’apparente à un espace d’expérimentation qui donne libre cours aux personnes qu’il invite. Le texte et les images se font écho, les interventions comme reflet d’un discours, et inversement. La conver­sation qui aurait débuté dans un café se transpose. L’artiste nous.

Dans cet ouvrage « qui expose », le contenu de Collection revue 5 se veut hétéroclite, riche, et surtout pluriel. Le statut des productions présentées semble notable. Car si de leur côté, les livres de Clubs ont fait se rencontrer une culture savante et une culture plus populaire, Collection revue 5, semble elle aussi créer des passerelles. Art contemporain et dessin amateur se mélangent et se côtoient (Le cocasse Ernest T. du collectif Taroop & Glabel se trouve aux côtés de Yannick Val Gesto, artiste contemporain post-internet qui a débuté sur Myspace). Les pratiques se croisent, leur public avec, créant un point de rencontre entre l’amateur et le professionnel.

Dans ce paysage graphique fourmillant, couleurs, formes, illustrations, dessins, photographies d’expositions ou d’installations, s’offrent à nous. On note une certaine attention porté à la qualité d’impression des images (imprimées en couleur or sur la jaquette, quelques formes scintillent et semblent nous faire de l’œil). L’ouvrage en lui-même se veut sensible par son choix de papier (texturé pour les entretiens, couché pour les images), sa souplesse de manipulation, ou son façonnage. C’est sous cette nouvelle forme — éditée à partir du 4 e numéro — que Collection revue 5 semble réconcilier design graphique et pratique du dessin, parfois trop cantonnés à leur propre champ d’intervention. Comme consciente de sa démarche, Collection revue a su se revoir, afin de mieux « donner à voir ».

Au-delà de « l’action de rassembler » , le mot « collection » inscrit l’ouvrage dans quelque chose de plus grand. Par sa polysémie, il place la revue dans l’idée d’un ensemble d’éléments groupés en raison de certains points communs. Comme un objet aimant — autour du quel se forme une collection — Collection revue 5 semble alors faire partie d’un tout, destiné, lui aussi, à être collectionné. Il donne naissance à l’affect, un lien sensible se tisse. Collection revue 5 devient un objet intime, un être aimé, celui que l’on souhaite voir durer à jamais. De la même manière, les livres de Clubs s’inscrivent eux aussi aujourd’hui dans une collection, au sens d’un « ensemble non fini (le plus souvent classé) d’objets réunis par un amateur, en raison de leur valeur [scientifique], artistique, esthétique, documentaire, affective [ou vénale] », et semblent également « faire club » à leur tour.

Dans cette pérennité, l’onglet « Journal » présent sur le site internet de la revue8 offre un partage d’images supplémentaires à la revue. Également, l’onglet « Images », propose des photographies d’événements connexes, placées comme une exten­sion de la revue. Des photo­graphies d’expositions — qui réactivent alors les œuvres — sont également diffusées.

Si Collection revue se place comme le reflet de ces objets, elle semble aller plus loin. Elle est le réceptacle mais également le prisme qui diffuse l’objet collecté. Collection revue semble nous indiquer le chemin à prendre dans l’idée d’établir une collection et de penser sa diffusion. Par l’intégration du terme « revue » dans son titre, qui évoque le fait de « retourner voir ce qui s’y trouve », Collection revue 5 semble nous inviter à nous rassembler, pour penser le « voir à nouveau ».

 

 

notes :

 


 

1 Lors des rendez-vous destinés à réaliser la sélection pour la Biennale, nous nous demandons comment se prononce le titre de l’ouvrage. On aurait tendance à l’inverser pour l’appeler « la revue Collection ».
 

2 Collection revue à été créée en 2010 par Jean-Philippe Bretin, Vanessa Dziuba, Julien Kedryna, Sammy Stein et Antoine Stevenot.
 

3 Conversation avec Yannick Val Gesto, entretien et traduction par Yann La Fougère, mardi 12 avril 2016 (page 76 de la revue).
 

4 Conversation avec Masanao Hirayama, entretien par Vanessa Dziuba, traduction de Soozy Rios Bellenot, de avril à mai 2016 (page 101 de la revue).
 

5 Conversation avec Sarah Tritz, entretien par Vanessa Dziuba, traduction de Soozy Rios Bellenot, lundi 12 décembre 2016 (page 132 de la revue).
 

6 Conversation avec la Galerie 126, entretien par Jean-Philippe Bretin et Vanessa Dziuba, traduction par Soozy Rios Bellenot (page 42 de la revue).
 

7 Conversation avec Maximage, entretien par Jean-Philippe Bretin et Antoine Stevenot, traduction par Soozy Rios Bellenot, mercredi 4 mai 2016 (page 199 de la revue).


8 Voir www.collectionrevue.com, consulté le 17/01/19.

 

 

 

ouvrage(s) club de comparaison :

 


 

Les Fioretti de Saint-François, CML, 1957
Ray Bradbury, Chroniques martiennes, CML, 1955
Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maitre, CFL, 1953
Coll., La sagesse des nations, CLF, 1959
Jean Giroudoux, Théatre complet (tome 4), CFL, 1959
Jean Giroudoux, Suzanne et le pacifique, CLM, 1957
Louis Pergaud, La guerre des boutons, CFL, 1962