Culture Clubs

Séquences en feuille, feuille, feuille-ton1
par Anaïs Chappelet
pour Biennale Exemplaires 2019

 

 

 

À propos de
Classeur 01. Le Mythe de Pierre
de : J. Alikavazovic, M. Bagnéris, C. Bellucci, et al.

Éditeur
Cosa Mentale

Année
2016

Format
21 × 29,7 cm

Nombre de pages
275 

ISBN
978-2-95557010-0-3

Imprimeur
Kopa, Lituanie

Conception graphique 
Spassky Fischer

Premier écran, l’espace clos délimité par ses contours2 nous donne à voir un portrait. Format à la française, qui nous annonce en noir et blanc sa geste et son sujet. Par geste on fait voir « Classeur », et par ce mot-là ils3 indiquent au lecteur la manière dont l’ouvrage opère. Classer, c’est penser4. Les documents, à l’origine isolés, sont par ce geste entraînés à s’associer et à se rapprocher les uns des autres, comme étreints dans ce jardin de signes

 

Par cette couverture, le Classeur énonce à voix haute et de manière éclatante l’intitulé de son dossier : Le Mythe de Pierre. Après être entré par la formule « Classeur 01 », le lecteur poursuit et traverse la couverture vers « Le Mythe de Pierre ». Une succession de pages, comme des portes battantes, l’amène à effeuiller optiquement les différentes enveloppes de ce dossier. L'entrée était étiquette typographique, avertissant le lecteur du feuillu mille-feuilles qui l’attend.

 

Par portrait, cet espace, le 01ème, cherche à dresser l’éventail des racines, branches, feuilles et bourgeons que convoquerait ce sujet. Puis, d’une lecture horizontale à une lecture verticale, rendue possible par un bref mouvement rotatif des mains ou des yeux, le dos de Classeur, en bandes économiques, affiche les crédits5 sur trois lignes horizontales. Au premier comme au second seuil6, l’espace occupé par le noir typographique taille et sculpte la page tout en dirigeant notre regard. Les terres branchus et enneigées sont tirés au cordeau7  par les jardiniers8.


Succession d’écrans,
blancs (vides)
noirs (occupés),
le promeneur
trottine, trottine
dans les allées.

 

En rangs de trois puis de quatre, le contenu développe la geste et présente d’une manière rigoureuse et tendue les contributeurs9.

 

D’une de ces allées, le lecteur en aperçoit une autre, et une nouvelle encore après celle-ci, comme une succession de paysages enroulés. Le le déroulement générique, ici en feuillet et dans un flux linéaire continu, est comme un long couloir aux portes saloon, que le lecteur ouvre tel un page. 

 

Au troisième écran que forme la double-page, champ de droite, on annonce les mains jointes : Mythe de pierre, mythe de Pierre — en écho triomphant — par Dominique Iogna-Prat page 50. Pierre, c’est l’homme à qui, ici, on tire le portrait comme on impressionnerait une bande magnétique. De 50 à 188, il n’y a qu’un basculement recto/verso qui surenchérit avec Ceci est une image d’Emmanuelle Roberties. De l’autre côté, il faudra Écrire entre les pierres, à l’Abbaye de Saint-Jean d’Aluns 1995/2015 en compagnie de Guy Desgrandchamps.  

 

Plus tard, happé par le générique-trajet10 — 50, 188, 218, 137, 77, 123, 177, 141, 191, 113, 222, 67, 48, 166, 88, 169, 164, 91, 106, 115, 93, 195, 178, 64, 75, 135, 84, 154, 70, 83, 211, 55, 107, 48, 185, 146, 168, 53, 114, 47 — le lecteur-joueur lancera sa première pierre, entre terre et carrière11.

 

Pour l’instant, aux premières pages liminaires, les quarante sculptures typographiques, présentées en ricochets dans le jardin à la rigueur française signalent au lecteur ses multiples voies. La trame narrative éfeuillée par ses mains est ainsi dévoilée à la vue. Courses folles de mots tels que « écrire », « prévalence », « grandes », « atmosphère », « bâtisseurs », « astrologie et naturalisme », « Rome », « brutale », « balancing », « pierre », « pense »…, qui s’accumulent — comme on dévalerait à toute vitesse l’allée aux pommiers — jusqu’à la page 47 pour, maintenant et après, envahir les espaces silencieux. L’entrée dans le noeud du jardin par le vestibule prolongé pré-annonce l’anatomie des pages à venir. 

 

Toujours à cloche-pied,
du présent au passé,
le promeneur,
sautille, sautille
dans les allées.

 

 

 

notes :

 


 

1 Jean Duperray, Dora Providence, roman pour lanterne magique, Paris, Club français du livre, 1951.

 

2 format 21 × 29,7 cm

 

3 Ils renvoie au comité de rédaction de la revue composé de Simon Campedel, Baptiste Manet, Claudia Mion et Giacomo Ortalli.

 

4 Cf. Georges Perec, Penser/Classer, Hachette, 1985.

 

5 On peut parler des crédits d'un livre, comme on parle des crédits d’un film. Dans le domaine de la presse, on parlera plus volontiers d’un ours.

 

6 Cf. Gérard Genette, Seuils, Éditions du Seuil, 1987.

 

7 Outil du jardinier pour matérialiser provisoirement une ligne droite.

 

8 Le graphisme de Classeur est réalisé par le studio Spassky Fischer.

 

9 Ils sont respectivement écrivain, architecte, photographe, artiste, historien, artisan, maître de conférence, étudiant, ingénieur, percussionniste, docteur en architecture et en histoire, photographe et sculpteur.

 

10 Formule qu’emploie l’historienne Laurence Moinereau dans son article consacré à une typologie des génériques. Voir : Laurence Moinereau « Générique et récit : modalités de gestions d’un écart », in Catherine Guiral, Jérôme Dupeyrat et Brice Domingues, dir., L’Écartelage, ou l’écriture de l’espace d’après Pierre Faucheux, Éditions B42, 2013, p. 67-80.

 

11 Cf. Julio Cortázar, Marelle, L’Imaginaire, Gallimard, 1967. Dans ce texte, Cortázar propose au lecteur deux itinéraires de lectures. Le premier, commun aux livres traditionnels, met le liseur en état mécanique d’effeuillage. Alors que, le second, présenté au début du roman, propose une succession de chiffres — entrées vers les chapitres — qui s’amorce en terre par 73 et poursuit avec 1-2-116-3-84-4,… vers le ciel. L’auteur-joueur, énonce une à une les cases numérotées où la pierre s’est déposée; le lecteur est invité à marcher sur ses pas.

 

 

 

ouvrage(s) club de comparaison :

 


 

Jean Duperray, Dora Providence, roman pour lanterne magique, CFL, 1951.